Notios

Dîner du vendredi 4 juillet 2008.

Chypre, Paphos, l’hôtel Almyra. C’est là que ma petite famille et moi avons passé quelques jours début juillet.

Cet hôtel réunissait sur papier tous les ingrédients pour passer une belle semaine : classé parmi les plus beaux hôtels du monde, ambiance et décoration contemporaine de bon goût, apprécié pour son encadrement et son ambiance familiale (de nombreux enfants en bas âge mais malgré tout beaucoup de sérénité)… cela nous convenait parfaitement.

Mais, last but not least, cet hôtel semblait aussi réputé pour la qualité de sa cuisine, l’une de meilleures de l’île selon plusieurs guides. Et là cela nous convenait encore mieux car j’avoue en être arrivé à un stade où je choisis presque mes destinations en fonction de la qualité de la restauration sur place.

Nous n’avons pas tardé à avoir un premier élément de réponse concernant la qualité de la cuisine dès le lendemain de notre arrivée, lors du cocktail de bienvenue : quelle ne fut pas notre surprise de découvrir des plateaux d’amuse-bouches au visuel non seulement agréable et créatif mais surtout d’une incroyable précision en bouche :

– friture de moule et condiments : extra !

– gel de poivron jaune et bar : délicat et très bon

– eau de tomates avec billes de tomate en suspension : 100% tomate, 100% fraîcheur

– sélection de makis de légumes grillés : goûtus

– texture de chorizo et bulle de raisin : extra !

Chaque petite bouchée est parfaitement réalisée et nous sommes surpris de découvrir des préparations à tendance moléculaire dans cet endroit. Déambulant de bouchée en bouchée, nous rencontrons alors l’un des rares français présents à l’hôtel (population majoritairement anglophone et allemande) : le chef lui-même, Sebastien Cassagnol. Contact facile…

Sébastien est jeune, hyper motivé et extrêmement sympathique. Après un parcours où il est notamment passé au Market à Paris, il a repris l’an dernier les commandes des cuisines de l’Almyra et essaie d’apporter une petite touche contemporaine dans une cuisine qui conserve des influences asiatiques clairement assumées (le chef précédent venait de chez Nobu). Nous avons le plaisir d’échanger ainsi près d’une 1/2h avec lui sur un thème qui ne déviera pas de la gastronomie. Il faut savoir que le chef propose, en complément des menus et de la carte des 2 restaurants de l’Almyra (une ouzeri et le Notios, restaurant principal), un menu dégustation surprise, « Omakase » faites confiance au chef, proposé à 2 tables max. par soirée et décliné en 5 , 7 ou 9 services.

Afin que le concept de menu suprise ne transforme pas ce dîner en menu cauchemard, le chef insiste pour rencontrer personnellement chaque client la veille de dîner afin de faire connaissance avec vous et vos goûts. Sébastien veut tout savoir, veut personnaliser chaque menu en fonction de chaque client, du sur mesure qui rend chaque Omakase presque unique.

Nous prenons donc rendez-vous quelques jours plus tard, la veille de notre dîner. Entretien d’une demi heure, j’aime/j’aime pas, menu avec d’avantage de poissons ou viandes ?, réfractaire au fumé, au sucré/salé, aux jeux de textures… tout y passe. Nous optons pour le menu 9 services (81euros) et choisissons de vivre cette expérience au Notios, situé en plein air en bord de mer.

Tout est donc prêt et le moment venu, tout est réuni pour vivre une belle soirée : un climat fabuleux, un coucher de soleil en vedette de notre début de repas, une belle table en bord en de mer, une blanc de blanc Ruinart et un service aux petits soins (on sent qu’on ne rigole pas avec les clients « omakase »). Des menus sont imprimés à nos noms, nous n’aurons pas 9 mais 10 services…

Nous apercevons Sebastien en cuisine qui s’empresse de venir nous saluer et souhaiter une belle dégustation. Cuisine à vrai dire est un bien grand mot. S’agissant d’un restaurant de bord de mer, l’espace cuisine est restreint (20 m2 ?) annexé à un grill et petit bar à sushis. Avec ma douce, on en devient d’autant plus curieux quant aux assiettes qui nous seront servies au vu des moyens à disposition du chef dans cette configuration.

Le premier plat fait alors son entrée, bienvenue à bord de l’Almyra Gourmet Experience…

Tasting prawn plate : coated, fried and smoked

 

Pour un démarrage, ca démarre plutôt bien. 3 préparations en contraste de cuissons et goûts. La dernière préparation étant froide, façon rouleau de printemps, composé d’ananas grillé mais froid, coriandre et crevettes : excellent.

Selection of sushis

 

Nous n’avons peut-être jamais mangé autant de sushis et makis en 1 semaine. Mais avec une telle qualité de produit, nous avons faiblement succombé et cette sélection n’a pas remis en cause notre plaisir. Le sushi à la Saint-Jacques était extra (le chef m’a confié qu’il se faisait approvisionner tous les 3 jours depuis la France).

Burnt foie gras on toasted bread

 

Osé mais réussi. Le toast donne un petit goût de brûlé qui complète très bien la face caramélisée (façon crème brulée) du foie gras. C’est bigrement bon, se mange en 2 bouchées et provoque un réflexe commun : encore !

Crispy tuna roll served with pickled cucumber and coriander dressing

 

Le meilleur plat du menu pour ma chère et tendre. Faut dire que la qualité du thon rouge est juste exceptionnelle. Le condiment coriandre fonctionne a merveille. Je suis plus réservé sur le concombre. La tranche crue n’est pas indispensable, par contre la petit brunoise acidulée cachée en dessous a sa place et donne l’équilibre au plat. Vraiment très bon à nouveau.

Red snapper carpaccio served with a smoked mozarella balloon

L’extra-terrestre du menu, Sebastien a compris qu’il pouvait s’amuser avec nous.

Sur un carpaccio de daurade avec juste un peu d’huile d’olive, sel et poivre (le produit pour le produit), s’est posé un ballon de mozzarella fumée. On l’éclate et découvre une petite tranche de mozza où l’intérêt réside dans son goût fumé. Qui se marie à merveille avec le poisson cru. Pour ma part, je n’ai pas hésité à rajouter du citron vert. C’était top.

Pan fried scallop with truffle and parmesan foam

Produits et saveurs plus classiques pour ce plat. Très bonne Saint-Jacques, truffe sans beaucoup de goûts ni parfum, l’essentiel se trouve dans l’émulsion parmesan, à l’huile de truffe, juste parfaite et se mariant bien avec la noix de Saint-Jacques bien cuite.

Seared sea bass fillet set on peppered mango and spicy thai shot

A nouveau, qualité de poisson impressionante. Sebastien vient à ce moment nous voir et s’inquiéter de notre bien-être. No soucis, tout se passe bien, très bien. J’évoque avec lui la qualité des produits et il sourit car c’est pour lui un combat de tous les jours, préférant la simplicité d’une assiette avec de bons produits que la recherche de plats complexes avec des produits hasardeux. Son poisson est fourni chaque matin via le port de pêche de Paphos (2km), on ne peut faire plus frais et ça se goûte.

Pour les amateurs de sucré salé, intéressant cette mangue grillée et assaisonnée. Le petit shot thai épicé est le compagnon indispensable car relève l’ensemble et apporte la texture liquide nécessaire. Petit détail, j’aurais préféré que la verrine soit servie à côté et non pas dans l’assiette. Ok, je chipote… :o)

Grilled langouste on Mediterranean bruschetta, lemongrass air

Plat très intéressant.

A ma gauche une bruschetta (saveurs italiennes bien présentes : tomates, basilic, huile d’olive) sur laquelle reposent quelques tronçons de langouste grillés et fondants. Bon mais manque de frâicheur.

A ma droite une écume de citronnelle bien relevée et goûteuse à souhait.  Bon mais ne peut se déguster seul car vraiment bien relevé.

Et la magie opère quand ces éléments se mélangent une seule bouchée. Ca explose en bouche, c’est savoureux, équilibré, riche et frais à la fois, vraiment agréable.

Grilled beef fillet, ginger marmelade, asparagus and tofu

Très bon plat de viande (Angus beef), cuisson parfaite pour moi, à point pour ma douce. L’émulsion soja, le condiment gingembre, les oignons confits, les asperges bien cuites et ce tofu croustillant fonctionnent très bien. Chaque élément justifie sa présence et apporte de l’intérêt au plat. On se régale…

Sur ce plat, nous sommes passés au rouge avec un verre de vin de la région dont j’ai malheureusement oublié le nom (allez savoir pourquoi…) mais qui mériterait qu’on s’en souvienne.

Tasting dessert plate

Fin du voyage, terminus, tout le monde descend. Avec ce dessert, c’est la fin de notre menu Omakase. Un dessert qui ne serait pas bouleversant s’il n’y avait pas ce moelleux au chocolat absolument divin. Longtemps que je n’avais dégusté un tel moelleux. Sebastien s’approche à nouveau et nous vante la qualité de son chocolat, nous acquiéscons. C’est juste excellent. Les fruits et le sorbet coco nous permettent de finir ce repas sur une note de fraîcheur.

Quel beau moment. Il est 22h30 (on a démarré à 19h30 sur les recommandations du chef). Les enfants sont entre les mains d’une baby sitter, la bouteille de Ruinart est vide, le ciel l’est aussi et les étoiles nous regardent de loin. Il doit pas faire loin des 30°. Nos oreilles sont bercées par le bruit des vagues s’échouant sur la plage à nos pieds. Au loin, les lumières du port de Paphos scintillent. Le temps s’arrête quelques instants. Magique.

Sebastien revient une dernière fois (la 4ème !). Nous le félicitons pour ce beau repas : une cuisine avec de beaux produits; des assiettes « simples », directes, en phase avec les moyens qu’offrent les infrastructures de ce restaurant en bord de mer ; des associations heureuses et correspondant à nos goûts; une très bonne qualité de cuisson; une créativité cohérente et intéressante qui a apporté le petit plus indispensable pour certains plats.

Nous discutons de tout cela avec le chef et confirmons être ravis de lui avoir fait confiance. On sent qu’il s’est amusé et a donné le maximum. Ca fait plaisir de voir des chefs non seulement à fond dans leur passion, mais aussi se sentant à ce point concerné par la satisfaction de leurs clients.

De là à dire qu’on ne rencontre cela pas assez souvent en France… non, mais cela mériterait quand même une petite réflexion pour certains…

Au plaisir

Laurent V