Guggenheim

Dîner du 7 mai 2009

On vous avait laissé sur la place du village d’Axpe, repus et comblés. Il devait être un peu plus de 19h00. Le ciel était d’un gris menacant, une légère brume commencait même à faire son apparition. Conditions idéales… pour retourner sur ses pas et rester au chaud chez Etxebarri. Et cependant, n’écoutant que notre courage et notre appétit gourmand, on prit la route pour Bilbao afin de visiter notre prochain restaurant : Guggenheim, situé dans le musée du même nom.

Car si Guggenheim est évidemment connu pour son musée, peu de gens savent qu’il abrite un restaurant de qualité, figurant au firmament des restaurants selon le guide du Mejor de la Gastronomia, juste derrière… Etxebarri… it’s a small small world. A sa tête, Josean Martinez Alija, étoile montante et jeune chef formé à l’école de Martin Berasategui… on a connu pire comme mentor.

1H après avoir quitté Etxebarri, nous faisons face au Guggenheim… un peu en avance, le restaurant n’ouvre pas avant 21H. On prendra donc 1 litre de sangria pour patienter au bar d’en face.

Mine de rien, cela fait déjà 4h que notre déjeuner s’est achevé et une certaine envie de passer à table, pour ne pas dire une envie certaine, se révèle de plus en plus pressante. 21H pétantes, nous sommes en place.

La salle du restaurant est plutôt contemporaine, offrant un cadre aux coloris chauds alternant bois clair et tissus rouges. Notre table surplombe le parvis devant le musée et le Nervion. Etonnamment, le restaurant est vide et le restera à l’exception d’une table de 5 qui prendra place bien plus tard dans la soirée.

L’accueil est cordial et professionnel, la prise en main est immédiate. La décoration de table est épurée, un verre et puis c’est tout, j’aime beaucoup. Signe avant coureur de ce que sera la cuisine de la maison.

Nous partons sur le menu Dégustation, n’ayant absolument aucune idée de ce qui nous attend dans l’assiette.

Jus de myrtille et cannelle

Dès cette petite mise en bouche, le ton est donné. Texture d’éponge pour cette bouchée sucré-salé. Amusant, innovant et goûtu.

Utilisez vos mains… des asperges blanches à tartiner de gel de génévrier et cerfeuil

Quand ce plat débarque à table… on reste bouche bée. Silence. On observe. On réfléchit. Tant de pureté sur quelques centimètres carrés. Premier constat : c’est osé. Deuxième constat : c’est frais en bouche, subtilement équilibré (gel de génévrier/cerfeuil). Dernier constat : l’asperge est mi-cuite, càd encore croquante en bouche, lui infliger cette petite baignade dans le gel est intelligent et délicieux.

Brins d’aubergine rôtie avec « makil goxo », sur un lit de yaourt d’huile d’oliviers millénaires*

Nouveau plat et nouveau silence. On a ici à faire à un créateur, un artiste. L’aubergine est fondante, laquée à la réglisse que je n’aime malheureusement pas. Je ferai l’impasse sur ce plat tout en goûtant ce yaourt à l’huile d’olive absolument exquis.

Foie végétal, au jus de calamars, acidulé et coriandre

Lorsque les serveurs approchent de notre table, assiettes à la main, nous croyons tous voir un lobe de foie gras, mi-cuit. Quelques secondes plus tard, nous découvrons un lobe d’avocat, cru, arrosé de ce jus improbable.

Je suis personnellement touché par la pureté du visuel, par la poésie de l’assiette. Simplement magnifique.
Et en bouche, c’est l’un des moments qui me restera gravé à jamais de ce voyage. Le jus est divin. La qualité de l’avocat parfaite. L’ensemble est un moment inoubliable qui contraste tant avec la simplicité apparente de plat. C’est à ce point excellent, n’écoutant que notre gourmandise, nous demandons un second service du même plat. Le personnel semble d’abord surpris mais acquiesce avec plaisir, et quelques minutes plus tard, nous repartons pour un tour de magie.

Merlu à la vapeur, sur un jus d’ail sauvage et de câpres de « Ballobar »* accompagné d’herbes au citron

Regardez cette pureté absolue du vert, de la chair du poisson. Que dire… Plat d’une extrême finesse. Très peu assaisonné, le merlu se livre pour lui-même. Le jus à l’ail sauvage offre un contraste de saveur tout en justesse, sans aucune agressivité. Grand plat. Un de plus…

Pensées d’agneau grillés aux sarments sur fond d’haricots de Tolosa et nuances piquantes

Il fallait un bémol à ce repas, et c’est plat de viande qui nous l’offrira. Aucun d’entre nous n’a adhéré ni à la qualité de la viande, ni au fond d’haricots. Même si le chef reste sur un style identique, n’associant que peu d’éléments dans une même assiette, jouant sur une ou 2 couleurs maximum, le résultat en bouche est un peu décevant.

Poire, noisette, petit lait de fromage « Garmillas » et fleur de sureau

On est quasiment sur un monochrome. Minimalisme absolu. Ces petits icebergs de poire qui émergent de ce lait de fromage sont autant de petites bouchées légèrement sucrées, rafraîchies par le jus et la fleur de sureau. Très joli moment.

Cendres d’olive noire, sur une caséine d’herbes aromatiques et glace à la réglisse

Sur ce plat-ci, la réglisse n’est pas trop présente. Jeu sur les textures avec les cendres d’olive et la texture crémeuse de la caséine, belle harmonie des goûts. Très bon dessert.

Nous pensions avoir terminé notre repas lorsqu’arrive un 3ème dessert, non prévu au menu (on a dû être repéré).
Composition autour d’agrumes, c’est sans conteste le meilleur dessert du dîner, permettant d’achever cet excellent repas sur une note légère de fraîcheur.

Côté vins, la carte est relativement étroite et ne présente que des références espagnoles… nous prendrons donc 3 bouteilles un peu au hasard dont un excellent Qubel Crianza, vin de Madrid, 2002.

Ce dîner était finalement la meilleure chose qui pouvait nous arriver après notre déjeuner chez Etxebarri. Une cuisine diamétralement opposée, avant-gardiste à l’image du musée qui l’abrite. Car nous n’avions aucune envie d’un repas dans l’esprit de notre déjeuner ou ne pouvant en être qu’une pâle copie. Nous avons donc été gâtés. Une cuisine légère et épurée, offrant un minimalisme visuel et de goût encore rarement rencontré (si ce n’est chez Mugaritz la veille, mouvance espagnole quand tu nous tiens). Nous avons aimé la qualité des produits, des cuissons et surtout l’équilibre des saveurs en totale harmonie, à l’image de la présentation des assiettes.

Et tout cela chers amis pour un prix défiant toute concurrence (70€). Alors retenez cette adresse car voilà certainement l’un des bonnes surprises de l’année.

Le retour en pleine nuit à San Sebastian se fit dans un calme olympien (lisez par là que j’avais pour compagnon de route 3 dormeurs qui m’avaient fait la gentillesse de ne point ronfler).

Dernière journée demain, avec le bouquet final chez Martin Berasategui.

Laurent

* slow food produit

Asador Etxebarri

Déjeuner du 7 mai 2009

10H30. Après une nuit calme et un sommeil réparateur, nous voilà prêts pour visiter Asador Etxebarri, l’une des étapes phare de notre périple basque. Etxebarri est situé dans le petit village d’Axpe (petit, ce n’est rien de le dire.. Baerenthal ou Laguiole font figure de métropole en comparaison), niché au coeur des montagnes du Pays-Basque espagnol, à 80km de San Sebastian et 30km de Bilbao.

Ce restaurant est une véritable curiosité : Victor Aguinzoniz, son chef, ne cuisine qu’à la braise, utilisant 4 grills différents et différents types de bois (hêtre, poirier, pommier…), dont les braises servent aux cuissons. Un concept unique, une cuisine de produits, qui aux dires de gourmands bloggeurs passés par là (Chuck, ChezPim, Yaokui), est simplement exceptionnelle. Classé dans les 50 meilleurs restaurants du monde San Pellegrino, l’adresse fait figure d’ovni dans le paysage gastronomique actuel, une bonne raison de plus pour la découvrir. Autant vous dire que nos attentes étaient donc extrêmes…

Mais avant tout, petit conseil d’ami : munissez-vous d’un GPS pour vous y rendre car le lieu est des plus retranchés. Un village, 1 route, une quinzaine d’habitations. Et sur la « place principale » du village d’Axpe, entre l’église et le terrain de chistera, une batisse et un parking : bienvenue chez Etxebarri.

Au rez-de-chaussée, la porte d’entrée franchie, on est accueilli dans un bar/café comme nous en trouvons sans peine dans nos villages de province. Simplicité et rusticité du lieu, raison selon les rumeurs pour laquelle le Michelin ne lui accorde aucune étoile. Difficile en effet de s’imaginer que nous sommes dans l’un des restaurants les plus recherchés et sollicités au monde. Et pourtant, les clients viennent du monde entier pour manger ici.

Nous sommes d’ailleurs à peine entrés qu’un couple de japonais, GPS en main, se présente à l’accueil et est conduit à l’étage où se trouve la salle à manger. On emboîte leurs pas et prenons place à la table qui nous est réservée. La salle est spacieuse, sobre mais élégante, se fondant parfaitement dans l’ambiance des lieux.

Le personnel est d’une gentillesse extrême et ne feint pas d’être ravi de vous accueillir. Pendant que cartes et menus sont décortiqués, je me jette corps et âme dans la carte des vins. Et là, première belle surprise : une formidable sélection de beaux flacons à prix tous doux… Selosse Substance, les grands espagnols ou grands bordeaux… des vignerons plus confidentiels tel que Valette avec un premier prix à 23 euros la bouteille… on croit rêver.

Retour sur la carte : pas de menu affiché, la carte propose une sélection d’une vingtaine d’entrées et plats. Nous demandons s’il est possible d’avoir un menu dégustation piochant dans la carte. Oui, c’est possible, 110 euros pour 10 plats choisis par le chef. Nous demandons que certains plats soient prévus dans le menu et rajoutons 3 plats en supplément.

Pour démarrer le repas, impossible d’échapper au Selosse Substance …

Pas de mise en bouche et snacks, on entre immédiatement dans le vif du sujet et les plats vont s’enchaîner dans un rythme parfaitement maîtrisé.

Pour démarrer, quelques tranches de chorizo fait maison.

Très bon chorizo, probablement l’un des meilleurs jamais mangé.

Croquettes au jambon ibérique

Je tenais particulièrement à déguster ces croquettes (mes origines probablement…). Onctueuses et savoureuses. Très bon.

Beurre fumé

Premier choc de ce menu. Nous recevons chacun deux petites boulettes de beurre, panées dans la cendre. Le beurre a donc une texture plus croquante et offre un parfum fumé très subtile. Plus surprenant : ce plat se mange à la cuillère, sans pain. Gourmand, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, aucun écoeurement, cela se déguste sans peine.

Araignée de mer

L’un des rares plats où le produit ne sera braisé : qualité parfaite, grande fraîcheur mais surtout merveille de goût. Magnifique.

Huîtres grillées

On enchaîne avec les huîtres… légère émulsion iodée, complétant les huîtres fumées au grill. Ces bouchées explosent en bouche, l’huître s’est raffermie lors de la cuisson, les goûts d’iode et braise se marient avec bonheur et forment un remarquable accord sur le champagne.

Le Selosse a fait sa vie. On se jette ensuite sur un Macon-Villages de chez Valette, excellent rapport qualité/prix.

Crevette Palamos grillé

Le produit pour le produit. Grillée, quelques grains de sel et le tour est joué. On découvre un goût de grande pureté, avec cette fois un fumé légèrement différent (autre bois probablement), un fumé qui n’est absolument pas dominant et qui vient juste relever le plat en fin de bouche. Exceptionnel.

Caviar grillé

Voilà un plat que j’avais demandé dès la prise de commande en supplément. Car rien ne me paraissait plus improbable que du caviar grillé. Et pourtant… Certes le mot grillé n’est pas approprié. Nous devrions dire fumé. La texture des grains est un peu plus molle que lors d’une dégustation « classique ». La témpérature tiède surprend. Le goût du caviar est nettement moins iodé, plus doux et se marie avec subtilité au goût fumé. Beaucoup de finesse dans ce plat.

A ce stade du déjeuner, je dis enfin tout haut ce que je pense tout bas depuis la prise de commande… on ne va quand même pas partir d’ici sans avoir goûté le homard. Guillaume prend la balle au bond, appelle notre serveuse et dans un espagnol du plus bel effet lui demande de rajouter un homard pour 4 dans le menu. Après quelques secondes de réflexion trahissant une certaine surprise, la commande est passée, au grand soulagement de nos estomacs (encore) affamés.

Homard grillé

Même pour 4, cette pièce unique de homard suffit à nous combler de bonheur. Encore le produit pour le produit. Pas de chichis, une cuisson grillée parfaite et basta. Direction l’assiette. S’il fallait un mot pour résumer ce plat je dirais gourmand, car rien n’est plus jouissif que de manger un homard grillé, de toute première qualité, dans son plus simple appareil.

Passé le homard, Guillaume se dit qu’à son tour, il se ferait bien plaisir, interpelle à nouveau notre serveuse et lui demande de commander en supplément les clams, pour chacun de nous. La femme croit à un sketch, point de cela chez nous, nous sommes des plus sérieux et c’est sourire aux lèvres qu’elle prend note de ce nouvel extra.

Clams grillés

Ce plat de clams semble un peu plus travaillés que les autres : petits pois, jus, herbes… tout cela reste cependant très simple mais incroyablement direct et goûtu.

« Baby octopus » grillés

Une première me concernant, n’ayant jamais mangé de petits bébés pieuvres de cette façon. L’assiette est généreuse et c’est à nouveau une superbe dégustation qu’il nous est offert de vivre. Les goûts sont directs, tranchés, fumés certes, mais ne masquant jamais l’essence même du produit. Superbe.

Cocombre de mer grillé

Probablement le seul plat qui m’a un peu moins convaincu. Texture un peu caoutchouteuse, le grillé domine un peu trop selon moi. Original mais sans étincelles.

Pomme de terre grillée, oeuf, champignons

Encore un énorme plat. Et toujours cette désarmante simplicité. Au fond de la coupelle, une purée de pomme de terre vitelotte fumée, un jaune d’oeuf et ces fines lamelles de champignons crus. Terriblement savoureux…

Turbot grillé

L’entrée en piste du turbot est assez impressionnante. Sylvain pâlit. Laurent pousse un petit rire nerveux, Guillaume et votre humble serviteur salivent…

Nappé d’une sauce au beurre et aux herbes, nous avons la chance ici de goûter un produit à nouveau exceptionnel. Cuisson parfaite, grillée mais sans dominance du fumé qui pourrait masquer la finesse du poisson. Un très grand moment.

Pour finir ce repas, le Valette étant plus qu’un récent souvenir, on commande une bouteille de Rioja (un peu au hasard, on doit bien l’avouer).

Côte de Boeuf de Galice grillée

Cette viande a fait la réputation du restaurant. Et comme la plupart des produits servis au préalable, elle est ici servie pour elle-même : cuisson parfaite, braisée en surface et fondante en bouche. Magnifique.

Brioche et glace au lait fumé

Dessert étonnant qui appartient lui aussi aux plats signatures d’Etxebarri. L’ensemble est d’une gourmandise absolue et cette glace fumée fait aucun doute partie, associée à cette brioche légèrement grillée, des desserts les plus savoureux que j’ai pu goûter. Excellent.

5h plus tard, nous finissons ce menu absolument exceptionnel. En consultant la carte, on constate qu’on a goûté 75% des plats proposés… on parle déjà de revenir le lendemain midi pour goûter les 25% restants.

Le moment fut merveilleux, inoubliable. Qualité des produits, cuissons de grande maîtrise apportant ce goût de fumé, souvent léger et subtile en fonction des modes/hauteurs de cuissons et braises utilisés, mais à chaque fois différent et magnifiant le produit.

Nous demandons à voir les cuisines et ce fut un honneur pour nous de rencontrer les 2 personnes qui sont aux manettes : Victor et son cuisinier. Ici, point d’induction, point de gaz. Juste 2 cheminées où sont brulés les différents bois et 4 grills qui accueillent les braises. Chaque grill se règle en hauteur afin d’ajuster la cuisson.

Pour le caviar par exemple, le produit est placé dans un petit panier puis ensuite délicatement posé sur le grill. Tout est question d’équilibre et dosage, afin de préserver le produit et l’emmener vers la perfection. Car on peut parler de perfection sur certains de ces plats.

On nous emmène ensuite dans une petite pièce jouxtant la cuisine et là, ô suprise, on découvre un vivier où la plupart des produits sont préservés. Arrivage du matin, un tour sur la braise et le midi dans l’assiette. Vous avez dit fraîcheur ?

Nous quittons les lieux vers 19h, après avoir tapé la carte au bar en rez-de-chaussée… heureux, repus, sonnés par l’expérience et le plaisir vécu.

Direction Bilbao, musée Guggenheim. Car il s’agit de rester concentré. Notre prochain repas est prévu dans … 1H. Pas certain finalement qu’on ait allégé le programme…

Stay tuned.

Laurent

Mugaritz

Mercredi 6 mai 2009

Il est grand temps de vous parler de San Sebastian. Car après Bordeaux en 2008, c’est cette ville du Pays Basque espagnol qui fut choisie pour notre périple gourmand annuel. Le programme fut bouclé dès le début de l’année : ce sera Mugaritz, Etxebarri et Berasategui. Restait une quatrième table à planifier, notre choix se porta finalement sur Guggenheim à Bilbao. Un programme allégé comparé à l’édition bordelaise… tout est cependant relatif. Nous serons 4 à vivre ce périple : Guillaume, Laurent, Sylvain en « guest » et votre humble serviteur; Xavier et sa douce nous rejoignant pour le dernier dîner chez Berasategui.

Mercredi 14h00. C’est donc les papilles affûtées que nous prenons place dans l’avion qui nous emmène à Biarritz. Deux heures plus tard, et quelques degrés de plus, nous dégustons nos premières tapas en bord de mer, sur la plage, sirotant une sangria bien tristoune. Guère important car l’essentiel sera à vivre d’ici quelques heures lorsque nous aurons enfin le plaisir de goûter à la cuisine d’Andoni Aduriz, célèbre chef de Mugaritz.

En Espagne, on dîne tard et c’est donc vers 21H que nous nous présentons chez Mugaritz, situé dans un coin reculé au coeur des campagnes vallonnées encadrant San Sébastian (15min). L’accueil est cordial, nous étions attendus, notre table est joliment dressée en bordure de salle. Le cadre est élégant, aucun signe ostentatoire, tons chauds et décoration de bon goût.

Nous optons évidemment pour l’un des 2 menus dégustation, le menu Naturan avec les vins en accord. 

A peine assis à table, on nous propose de visiter les cuisines alors que le chef n’est pas encore arrivé. Nous emboîtons donc le pas de notre chef de salle et découvrons une cuisine scindée en 2 parties bien distinctes : la cuisine principale où sont cuisinés et dressés les plats ainsi qu’une arrière salle où on s’affaire aux découpes, épeluchages et nettoyages.

Retour à table, place au menu avec une première amuse-bouche :

Pour démarrer quelques pommes de terre (à piocher parmi des galets) et une légère mayonnaise s’inspirant d’un aïoli. Surprenant, bon, sans plus.

Pour suivre quelques mini-carottes avec un excellent bouillon d’anchois.

Afin d’étancher notre soif grandissante, nous partons sur un champagne de cette excellente vigneronne : Francoise Bedel, cuvée « Dis Vin Secret », moins envoûtante qu' »Entre Ciel et Terre » mais fort agréable cependant.

Dernière mise en bouche : fèves, ris de veau. Très bon.


 
Grappe de petits pois crus sur un consommé de pois de senteur à l’huile de noix

Auxerrois Vieille Vignes, Albert Mann, 2006

Dès cette première entrée, on entre de plein pieds dans une cuisine de pureté absolue. Les petits pois sont crus, évidemment croquants sous la dent et de grande fraîcheur. Le consommé se marie à merveille pour un plat aux goûts puissants mais offrant beaucoup de finesse et subtilité. Excellent.

Carpaccio à la vinaigrette aigre-douce, éclats de fromage A.O. Idiazabal et brins de végétation

Auxerrois Vieille Vignes, Albert Mann, 2006

Un carpaccio, certes, mais de quoi ? Lorsque nos assiettes furent avalées, aucun d’entre nous n’eut trouvé de quoi était fait ce carpaccio. Il ne s’agit ni de viande, ni de thon, ni de tomates, ni de piquillos, … il s’agit de pastèque déshydratée. La texture est similaire à un carpaccio de boeuf, tendre, se déchirant doucement sous le couteau… assez impressionnant et introuvable en goût. Mais plus important : on a à faire à un excellent plat qui offre une palette de saveurs en parfaite harmonie, sous une texture, vous l’aurez compris totalement déstabilisante. Très grand moment.

Plat de salsifi fossilisé assaisonnés avec oeufs et accents marins de triglochin maritimum

Rioja, Placet Valtomelloso, Palacios, 2007

Les plats se suivent et restent très spectaculaires. Va-t-on atteindre les limites de notre plaisir et tomber dans le côté obscur/gadget que je crains tant. On en est pas loin sur ce plat qui n’apporte aucun plaisir particulier en bouche. Les structures sont intéressantes, le salsifi fossilisé interpelle, et fait réfléchir. Quel est le but recherché. Pourquoi ce plat ? … On m’avait décrit la cuisine de Mugaritz comme étant compliquée, voir parfois cérébrale… je commence à comprendre. Mais pourquoi pas, voyons le plat suivant.

Araignée de mer avec des « tupinambo » grillées

Rioja, Placet Valtomelloso, Palacios, 2007

L’un des tous grands moments de ce menu : superbe qualité d’araigné, exceptionnel topinambour grillé, une merveille de simplicité et de goût. Un très grand goût de … trop peu.

Coraux d’oursin enrobés d’un nectar de légumes sucrés, grains de poivres longs

Saké

Pureté, minimalisme. L’assiette est magnifique. En bouche, c’est une vraie bombe. L’oursin est d’une puissance encore jamais rencontrée. Le sucré du gel de légumes, le poivre et la puissance iodée des oursins sont d’une douce violence. Un petit plat par la portion mais grand par le plaisir qu’il génère. Et pour compléter le bonheur qui enrobe notre table, le sommelier associe un saké avec le plat. Divins instants. Magie de l’accord. Un moment qui reste encore aujourd’hui dans ma mémoire, et le restera très certainement à jamais. Magnifique. 

Lamelles de foie gras de canard parfumées sur le grill, garnies de grains et de feuilles de moutarde

Sylvaner, Domaine Weinbach, 2001

C’est à partir de ce plat que le repas devint inégal. Si mes camarades de jeu ont apprécié ce foie gras parfaitement cuit, il me manquait quelque chose. L’élément qui éleve ce plat au niveau supérieur, dans la foulée des précédents, qui procure l’étincelle, fait jaillir l’émotion. Or là, c’est plat et sans relief. Mais à nouveau, cette recherche de minimalisme et pureté des goûts ne confirme-t-elle pas l’image de cuisine complexe dont je parlais plus haut et à laquelle je ne suis peut-être pas suffisamment réceptif ?

Filet de sole, sous une salaison de bourrache et un concentré de ses arêtes

V3, Verdejo Vieilles Vignes, 2006

Sensations identiques sur cette sole. Cuisson irréprochable, tout comme la qualité du poisson. Mais quel intérêt ? Très peu de plaisir me concernant, manque de gourmandise, manque de saveurs, manque de relief. Où est l’effet recherché ? Plat que je n’ai pas compris et qui restera une énigme …

Côté vins par contre, on est gâté. Ce blanc espagnol sera l’une des belles surprises de la soirée. Riche, parfumé, il compense le plat comme il peut, se débrouillant plutôt pas mal…

Pièce de veau de lait rôtie et parfumée à la braise de sarments, aux brins de thym cendrés, sels et radis croquants

Ribeiro Sacra, Lalama, 2005

On repart sur du très grand avec ce veau braisé aux sarments (petit clien d’oeil à notre dîner chez Marx l’an dernier), magistralement cuit et parfait en goût. L’accord sur le rouge espagnol (Lalama) est parfait, définitivement le meilleur rouge de notre repas.

Tradition, mer et pâturage : petites queues de porc ibérique cuites à l’étuvée et petites langoustines sautées nappées de réduction du jus de cuisson infusé au jambon ibérique bellota

Pasoslargos, Ronda, 2003

Lorsque ce plat est annoncé et servi à table, il fait plutôt saliver. Mais la première bouchée se révélera terriblement suprenante. A nouveau, les cuissons sont justes et les produits de première qualité. Mais pourquoi ces langoustines dans ce plat si… on ne les goûte pas ? Entre  les goûts puissants de la queue de boeuf d’une part et de l’infusion au bellota de l’autre, nos pauvres langoustines sont tristement laissées au second plan et ne font qu’acte de présence. Dommage.

Fromages

Très belle sélection de fromages, espagnols et français assurant avec succès la transition vers les desserts.

Noisettes, fougère et vanilles, polvoron de noisettes et racines de polypode avec de la glace vanille et crème

Autojo Rubio, 2005

Très beau dessert, et très bon également. Les gousses de vanille n’en sont pas (ce sont des fougères), un trompe l’oeil ludique certes, mais fidèle et cohérent au niveau des goûts. Très bon dessert.

Une interprétation de la vanité : gâteau fondant au chocolat, crème d’amande froide, fonds dorés et bulles de cacao

Moscatel, Malaga, 30 ans d’âge

Gourmand. Provoquant. Surprenant. Trois superlatifs qui résument cet emblématique dessert d’Aduriz. Les goûts sont présents, le dessert est goûteux sans être écoeurant, on a y envie d’y replonger sans s’arrêter.

C’est sur cette belle fin de menu que s’achève notre repas.

Le service fut discret, attentif et serviable, nous permettant de passer un beau moment avec notamment ce sommelier assez volubile et érudit.  Les vins proposés furent en moyenne de très bonne qualité, avec notamment cet accord magique au saké et de très bons blancs.

Côté cuisine, du fait de ces 3 plats mitigés et incompris me concernant, je suis resté sur ma faim. Car s’ils avaient été du niveau des plats précédents, j’aurais probablement vécu l’un des tous meilleurs repas de ma vie, ni plus ni moins. Mais cela ne nous empêcha nullement de vivre une belle soirée, découvrant une belle maison, une cuisine nouvelle pour moi, différente de tout ce que nous avons pu expérimenter précédemment. Une cuisine atypique, innovante et contemporaine, s’orientant souvent vers une recherche de minimalisme et de pureté qui peut étonner voir décevoir car au détriment du plaisir. Y retourner ? Oui, très certainement. Car cette cuisine a au moins 2 mérites selon moi : elle ne laisse pas indifférente – et j’aime cà : on ne peut nier la démarche créative, on doit s’incliner devant la qualité des produits et cuissons, et respecter l’artiste qu’est Aduriz. Deuxième raison ? Elle est capable de faire vivre des moments de grande émotion, de pure magie, et rien que pour cela, elle demande qu’on y retourne.

Prochaine étape de ce périple : Etxebarri le lendemain midi. Autre cuisine. Autre style. Autre plaisir.

Stay tuned.

Laurent

Martin Berasategui

Dîner du jeudi 14 août 2008

Le premier, mon tout premier grand d’Espagne, c’est ce jeudi 14 août que j’allais le découvrir.

Martin Berasategui (3*) fait partie depuis longtemps de ma to-do list. Et plus généralement, San Sebastian est l’une des destinations m’attirant le plus car regorgeant de tables aussi réputées les unes que les autres (Mugaritz, Arzak, Akelare,…). Et pourtant, je n’y avais encore jamais mis les pieds.

Pour cette première, nous avions le choix entre Akelare et Berasategui, et c’est finalement pour ce dernier que nous optons, non sans avoir pris recommandation auprès de quelques conseillers avisés… :).

Grâce au talent d’amis voisins épicuriens et motivés par l’expérience, une réservation est donc obtenue quelques semaines auparavant et le jour J c’est en avion Easy Jet que ma douce et moi atteignons Biarritz où nous attendent déjà nos amis.

Quelques heures plus tard et nous voilà arrivés dans le parking du restaurant. Nous sommes les premiers. Après un peu d’attente à l’accueil, visiblement nous étions vraiment trop tôt (mais il faisait faim), on nous conduit à notre table, située au milieu de la salle et en bordure de fenêtre.

Le cadre ne se distingue pas particulièrement : sobre, plutôt classique, tons neutres (bleus et beiges), tables bien espacées. Confortablement installés, le dîner peut commencer et les premiers contacts avec l’équipe de salle se font en français et s’avèrent immédiatement conviviaux et détendus.

Nous optons évidemment pour le Grand Menu Dégustation Martin Berasategui, tarifé à 155€. Et pour l’apéritif, nous entamons le repas avec un Louis Roederer, brut, rafraichissant et toujours aussi agréable au palais. Pour accompagner cet apéritif sont servies de petites bouchées, « séductrices, légères et surtout savoureuses », dixit Martin.

2007 Laminé de cabillaud légèrement fumé, sur poudre de noisette, café et vanille

1995 Mille-feuille caramélisé d’anguille fumée, foie gras, crème de petits oignons et pomme verte & 2007 Gazpacho de pêche de vigne avec infusions de coques al txakoli

Des mises en bouche véritablement excellentes. Sur le laminé de cabillaud (servi sur une petite crème de fromage), c’est un monde où les goûts sont précis, subtiles, puissants et nouveaux qui s’ouvrent à vous. Quant au mille-feuille, la perfection à l’état pur. Les goûts se distinguent tout en se fondant harmonieusement ensemble. Ca fond en bouche, c’est délicat et savoureux, que du bonheur. Nous sommes bien évidemment et immédiatement impressionnés par la qualité de ces premières dégustations. Elles annoncent un grand repas… et la suite ne nous démentira pas.

Et justement, pour accompagner ce repas, il est temps de penser au vin. 2 blancs et 1 rouge feront l’affaire, je m’oriente donc sur la séquence suivante : Riesling allemand (que l’excellent sommelier Steve l’Abée se fera un plaisir de choisir hors carte) Kastanienbusch 2004 Pfalz, un Chassagne Montrachet 1er cru Morgeot 2005 et enfin un Rioja Gran Reserva 1995.

Le menu reprend avec un met « surprise » :

Carpaccio de Saint-Jacques, jus de chair de crustacés et légumes, vinaigrette de mangues, oeufs de truite

On est sur la fraîcheur, des saveurs douces, très agréable.

2006 Huître à la chlorophylle de cresson, roquette et pomme, crème de citronnelle, aux herbes d’oxalys acetosella

Un excellent plat, associant 3 ou 4 saveurs pas plus. Qualité d’huître (de Galice me confiera Martin plus tard dans la soirée) exceptionnelle, bel accord avec la citronnelle, grand miam.

2008 Le plat de pomme et tubercules oubliés, croustillant, crème glacée et sandwich à la moutarde

Un plat d’anthologie, difficilement descriptible tant il surprend, émerveille, … des associations improbables et tellement évidentes. La magie opère et on comprend d’avantage pourquoi la gastronomie espagnole a obtenu sa réputation mondiale.

2006 Lait caillé de coquille Saint-Jacques et pousse de soja, crémeux de café, cannelle et curry

On reste sur du très haut niveau. D’apparence neutre, voilà un plat complexe au niveau des équilibres des saveurs. Tout se jour sur le crémeux et c’est extra en bouche, les parfums se complètent, chacun se révélant à tour de rôle, fantastique.

2007 Oeuf de ferme avec betterave, salade liquide d’herbes, carpaccio de ragoût basque et fromage

Le plat qui a fait le plus débat, étant le seul à ne pas l’apprécier réellement. Techniquement complexe, les goûts m’ont parus un peu confus et je n’ai pas vraiment compris le but recherché.

2002 Salade tiède de coeur de légumes, avec crustacés, crème de laitue de ferme et jus iodé à l’huile « Pago de Los Baldios de San Carlos »

Un visuel magnifique, et des goûts qui confirment ce visuel : c’est fin, subtile en bouche, tourné vers les produits mis en valeur dans un plat à priori plus simple.

2008 Rouget rôti et ses écailles comestibles, jus de poisson de roche au safran, bonbon liquide d’olives noires

On reprend sa route vers les sommets avec peut-être le meilleur plat pour moi. En arrière plan, le tartare d’huitres valait à lui seul le déplacement. Le chips d’encre de seiche n’était pas en reste. Et que dire de ce jus de poisson juste exceptionnel. Enfin, un rouget de grande qualité et à la cuisson parfaite, couvert d’écailles croustillantes. Jeu de textures, de saveurs, de températures : un plat énorme, inoubliable.

2008 Pigeon d’Araiz rôti, avec pâtes fraîches aux champignons et petits oignons, touches de crème truffées

On reste sur la lancée avec ce pigeon à la cuisson juste, les touches de crème truffées et les pâtes font le reste : du grand art.

2008 Chaud-froid de pomme et racines de plantes

Petite transition en douceur vers les desserts, intéressante proposition, composition originale, l’ensemble fonctionne bien.

2008 Crème glacée de céléri et ses pousses et feuilles avec eau de vie, laminé de mangue, compote de betterave et fruits

Excellent premier dessert, de la fraîcheur, des saveurs assez présentes qui relancent les papilles et vous les préparent pour la dernière ligne droite.

2008 Essence froide de basilic avec sorbet de citron vert, granité de genévrier et touches d’amandes crues

Le meilleur dessert, création récente de Martin, un ensemble cohérent, travaillé, l’essence froide révèle toute sa puissance sans être une seule seconde écoeurante, le sorbet de citron vert apporte l’acidité sans tuer le plat, bref, tout cela est bel et bien fait, et clôture un fabuleux menu.

Mignardises

Comme dirait l’autre, après un tel menu, vous pouvez mourrir tranquille.

Chaque plat était d’un niveau de qualité exceptionnel, présentant un équilibre de saveurs rarement rencontré, servi par des techniques de cuisson ou élaboration discrètes mettant en avant le produit.

Un visule travaillé et réfléchi dans l’assiette, des saveurs omniprésentes, des associations parfois osées mais toujours réussies, il est quasiment impossible de dégager un plat parmi les autres. Pour ma part, je dirais que l’oeuf de ferme était en dessous du reste et les tubercules, le lait caillé et le rouget des plats d’anthologie que jamais je n’oublierai.

En fin de repas, Martin himself déambule de table en table et, arrivé à la nôtre, nous salue tout d’abord puis entame une conversation qui durera une petite demi-heure. Nous demandons à voir les cuisines et il nous y emmène illico presto. Nous pénétrons alors dans l’envers du décor : 350m2, 40 cuisiniers (pour 45 couverts), impressionnant.

La discussion avec Martin est évidemment engagée sur le terrain de la cuisine, de ses techniques de préparation, des origines de son personnel (toute l’Europe est présente), des chefs qu’il connait et recommande (et ô heureuse surprise, il me demande de saluer San de L’Air du Temps, me confiant avoir fait chez lui l’un de ses meilleurs repas hors d’Espagne … le monde est petit :).

Après de longues minutes en cuisine, il nous emmène en terrasse, puis nous reconduit à table en nous souhaitant une excellente fin de soirée, nous remerciant pour notre visite et nous invitant à le contacter lors de notre prochaine visite à San Sebastian. Quel homme ! Sacré personnage, disponible, ouvert, volubile à souhait, c’est un plaisir de l’écouter et le voir s’exprimer au sujet de sa cuisine, son univers. Un moment inoubliable… encore un.

De retour à table, nous souhaitons finir la soirée avec un dernier petit verre et le sommelier nous sert un vin d’orange des plus original qui ne laissera pas indifférent, les avis sont partagés.

Arrivés les premiers à 20h, nous partons les derniers vers 1H du matin, heureux, repus, comblés, et surtout charmés par l’expérience : une cuisine unique, une rencontre avec un chef qui l’est tout autant, un service et accueil à dimension humaine, le tout partagé entre amis (encore merci pour la résa ! 🙂 ) : le plaisir de la table dans toute sa splendeur.

Martin Berasategui rentre directement dans mon classement très subjectif de mes 3 meilleurs repas, en attendant d’autres espagnols peut-être ? Cela ne saurait tarder car après Bordeaux en 2008, San Sebastien sera la prochaine destination de GoT en séjour prolongé. Il y a manifestement de quoi se faire plaisir dans la région…

GoTiquement vôtre,

Laurent V