Mugaritz

Mercredi 6 mai 2009

Il est grand temps de vous parler de San Sebastian. Car après Bordeaux en 2008, c’est cette ville du Pays Basque espagnol qui fut choisie pour notre périple gourmand annuel. Le programme fut bouclé dès le début de l’année : ce sera Mugaritz, Etxebarri et Berasategui. Restait une quatrième table à planifier, notre choix se porta finalement sur Guggenheim à Bilbao. Un programme allégé comparé à l’édition bordelaise… tout est cependant relatif. Nous serons 4 à vivre ce périple : Guillaume, Laurent, Sylvain en « guest » et votre humble serviteur; Xavier et sa douce nous rejoignant pour le dernier dîner chez Berasategui.

Mercredi 14h00. C’est donc les papilles affûtées que nous prenons place dans l’avion qui nous emmène à Biarritz. Deux heures plus tard, et quelques degrés de plus, nous dégustons nos premières tapas en bord de mer, sur la plage, sirotant une sangria bien tristoune. Guère important car l’essentiel sera à vivre d’ici quelques heures lorsque nous aurons enfin le plaisir de goûter à la cuisine d’Andoni Aduriz, célèbre chef de Mugaritz.

En Espagne, on dîne tard et c’est donc vers 21H que nous nous présentons chez Mugaritz, situé dans un coin reculé au coeur des campagnes vallonnées encadrant San Sébastian (15min). L’accueil est cordial, nous étions attendus, notre table est joliment dressée en bordure de salle. Le cadre est élégant, aucun signe ostentatoire, tons chauds et décoration de bon goût.

Nous optons évidemment pour l’un des 2 menus dégustation, le menu Naturan avec les vins en accord. 

A peine assis à table, on nous propose de visiter les cuisines alors que le chef n’est pas encore arrivé. Nous emboîtons donc le pas de notre chef de salle et découvrons une cuisine scindée en 2 parties bien distinctes : la cuisine principale où sont cuisinés et dressés les plats ainsi qu’une arrière salle où on s’affaire aux découpes, épeluchages et nettoyages.

Retour à table, place au menu avec une première amuse-bouche :

Pour démarrer quelques pommes de terre (à piocher parmi des galets) et une légère mayonnaise s’inspirant d’un aïoli. Surprenant, bon, sans plus.

Pour suivre quelques mini-carottes avec un excellent bouillon d’anchois.

Afin d’étancher notre soif grandissante, nous partons sur un champagne de cette excellente vigneronne : Francoise Bedel, cuvée « Dis Vin Secret », moins envoûtante qu' »Entre Ciel et Terre » mais fort agréable cependant.

Dernière mise en bouche : fèves, ris de veau. Très bon.


 
Grappe de petits pois crus sur un consommé de pois de senteur à l’huile de noix

Auxerrois Vieille Vignes, Albert Mann, 2006

Dès cette première entrée, on entre de plein pieds dans une cuisine de pureté absolue. Les petits pois sont crus, évidemment croquants sous la dent et de grande fraîcheur. Le consommé se marie à merveille pour un plat aux goûts puissants mais offrant beaucoup de finesse et subtilité. Excellent.

Carpaccio à la vinaigrette aigre-douce, éclats de fromage A.O. Idiazabal et brins de végétation

Auxerrois Vieille Vignes, Albert Mann, 2006

Un carpaccio, certes, mais de quoi ? Lorsque nos assiettes furent avalées, aucun d’entre nous n’eut trouvé de quoi était fait ce carpaccio. Il ne s’agit ni de viande, ni de thon, ni de tomates, ni de piquillos, … il s’agit de pastèque déshydratée. La texture est similaire à un carpaccio de boeuf, tendre, se déchirant doucement sous le couteau… assez impressionnant et introuvable en goût. Mais plus important : on a à faire à un excellent plat qui offre une palette de saveurs en parfaite harmonie, sous une texture, vous l’aurez compris totalement déstabilisante. Très grand moment.

Plat de salsifi fossilisé assaisonnés avec oeufs et accents marins de triglochin maritimum

Rioja, Placet Valtomelloso, Palacios, 2007

Les plats se suivent et restent très spectaculaires. Va-t-on atteindre les limites de notre plaisir et tomber dans le côté obscur/gadget que je crains tant. On en est pas loin sur ce plat qui n’apporte aucun plaisir particulier en bouche. Les structures sont intéressantes, le salsifi fossilisé interpelle, et fait réfléchir. Quel est le but recherché. Pourquoi ce plat ? … On m’avait décrit la cuisine de Mugaritz comme étant compliquée, voir parfois cérébrale… je commence à comprendre. Mais pourquoi pas, voyons le plat suivant.

Araignée de mer avec des « tupinambo » grillées

Rioja, Placet Valtomelloso, Palacios, 2007

L’un des tous grands moments de ce menu : superbe qualité d’araigné, exceptionnel topinambour grillé, une merveille de simplicité et de goût. Un très grand goût de … trop peu.

Coraux d’oursin enrobés d’un nectar de légumes sucrés, grains de poivres longs

Saké

Pureté, minimalisme. L’assiette est magnifique. En bouche, c’est une vraie bombe. L’oursin est d’une puissance encore jamais rencontrée. Le sucré du gel de légumes, le poivre et la puissance iodée des oursins sont d’une douce violence. Un petit plat par la portion mais grand par le plaisir qu’il génère. Et pour compléter le bonheur qui enrobe notre table, le sommelier associe un saké avec le plat. Divins instants. Magie de l’accord. Un moment qui reste encore aujourd’hui dans ma mémoire, et le restera très certainement à jamais. Magnifique. 

Lamelles de foie gras de canard parfumées sur le grill, garnies de grains et de feuilles de moutarde

Sylvaner, Domaine Weinbach, 2001

C’est à partir de ce plat que le repas devint inégal. Si mes camarades de jeu ont apprécié ce foie gras parfaitement cuit, il me manquait quelque chose. L’élément qui éleve ce plat au niveau supérieur, dans la foulée des précédents, qui procure l’étincelle, fait jaillir l’émotion. Or là, c’est plat et sans relief. Mais à nouveau, cette recherche de minimalisme et pureté des goûts ne confirme-t-elle pas l’image de cuisine complexe dont je parlais plus haut et à laquelle je ne suis peut-être pas suffisamment réceptif ?

Filet de sole, sous une salaison de bourrache et un concentré de ses arêtes

V3, Verdejo Vieilles Vignes, 2006

Sensations identiques sur cette sole. Cuisson irréprochable, tout comme la qualité du poisson. Mais quel intérêt ? Très peu de plaisir me concernant, manque de gourmandise, manque de saveurs, manque de relief. Où est l’effet recherché ? Plat que je n’ai pas compris et qui restera une énigme …

Côté vins par contre, on est gâté. Ce blanc espagnol sera l’une des belles surprises de la soirée. Riche, parfumé, il compense le plat comme il peut, se débrouillant plutôt pas mal…

Pièce de veau de lait rôtie et parfumée à la braise de sarments, aux brins de thym cendrés, sels et radis croquants

Ribeiro Sacra, Lalama, 2005

On repart sur du très grand avec ce veau braisé aux sarments (petit clien d’oeil à notre dîner chez Marx l’an dernier), magistralement cuit et parfait en goût. L’accord sur le rouge espagnol (Lalama) est parfait, définitivement le meilleur rouge de notre repas.

Tradition, mer et pâturage : petites queues de porc ibérique cuites à l’étuvée et petites langoustines sautées nappées de réduction du jus de cuisson infusé au jambon ibérique bellota

Pasoslargos, Ronda, 2003

Lorsque ce plat est annoncé et servi à table, il fait plutôt saliver. Mais la première bouchée se révélera terriblement suprenante. A nouveau, les cuissons sont justes et les produits de première qualité. Mais pourquoi ces langoustines dans ce plat si… on ne les goûte pas ? Entre  les goûts puissants de la queue de boeuf d’une part et de l’infusion au bellota de l’autre, nos pauvres langoustines sont tristement laissées au second plan et ne font qu’acte de présence. Dommage.

Fromages

Très belle sélection de fromages, espagnols et français assurant avec succès la transition vers les desserts.

Noisettes, fougère et vanilles, polvoron de noisettes et racines de polypode avec de la glace vanille et crème

Autojo Rubio, 2005

Très beau dessert, et très bon également. Les gousses de vanille n’en sont pas (ce sont des fougères), un trompe l’oeil ludique certes, mais fidèle et cohérent au niveau des goûts. Très bon dessert.

Une interprétation de la vanité : gâteau fondant au chocolat, crème d’amande froide, fonds dorés et bulles de cacao

Moscatel, Malaga, 30 ans d’âge

Gourmand. Provoquant. Surprenant. Trois superlatifs qui résument cet emblématique dessert d’Aduriz. Les goûts sont présents, le dessert est goûteux sans être écoeurant, on a y envie d’y replonger sans s’arrêter.

C’est sur cette belle fin de menu que s’achève notre repas.

Le service fut discret, attentif et serviable, nous permettant de passer un beau moment avec notamment ce sommelier assez volubile et érudit.  Les vins proposés furent en moyenne de très bonne qualité, avec notamment cet accord magique au saké et de très bons blancs.

Côté cuisine, du fait de ces 3 plats mitigés et incompris me concernant, je suis resté sur ma faim. Car s’ils avaient été du niveau des plats précédents, j’aurais probablement vécu l’un des tous meilleurs repas de ma vie, ni plus ni moins. Mais cela ne nous empêcha nullement de vivre une belle soirée, découvrant une belle maison, une cuisine nouvelle pour moi, différente de tout ce que nous avons pu expérimenter précédemment. Une cuisine atypique, innovante et contemporaine, s’orientant souvent vers une recherche de minimalisme et de pureté qui peut étonner voir décevoir car au détriment du plaisir. Y retourner ? Oui, très certainement. Car cette cuisine a au moins 2 mérites selon moi : elle ne laisse pas indifférente – et j’aime cà : on ne peut nier la démarche créative, on doit s’incliner devant la qualité des produits et cuissons, et respecter l’artiste qu’est Aduriz. Deuxième raison ? Elle est capable de faire vivre des moments de grande émotion, de pure magie, et rien que pour cela, elle demande qu’on y retourne.

Prochaine étape de ce périple : Etxebarri le lendemain midi. Autre cuisine. Autre style. Autre plaisir.

Stay tuned.

Laurent

10 commentaires

  1. Même à cette heure tardive ce reportage me fait saliver. Et dire que je n’ai que mangé des pintxos quand j’étais à San Sebastian cet été… :/

  2. Tres interessant Laurent. Cependant j’ai trouve le dessert au chocolat tres peu convaincant lors de mon repas il y a un an. C’est tres beau, mais en bouche c’etait un peu fade (les bulles surtout). Pour le reste c’est vraiment une tres grande table, qui allie cette cuisine a un service et cadre plus que chaloureux.

    Interested in the rest of it!

  3. très impressionnée par le dessert!

  4. Hello Laurent, juste un mot pour saluer ton passage sur M6 hier soir, wow, tu deviens une star ! Il faut dire que tes posts sont toujours aussi alléchants, et ce reportage sur identity crisis m’a fait grandement envie. Ici à Bordeaux on attend toujours un Alexandre ou un Kobe…

  5. C’est une honte que ce n’était pas un grand repas…
    en particulier le foie gras – sa « spécialité » non?

  6. Tiens je vois que vous avez bu l’Auxerrois VV 2006 du Domaine A.Mann , l’ayant bu également le WE dernier avec quelques camarades amoureux des belles choses, je me demandais ce que vous en aviez pensé, vous ne l’évoquez point.

    Bien sûr il s’agit pas là d’un vin à dithyrambe, on ne le choisit pas pour cela, mais j’aime pas mal son côté caméléon et équilibreur de sensation.
    Son corps en demi teinte, avec ces élégantes sensation d’acide-amer, sa palette de petit végétaux, et sa vitalité empêchent l’ennui et lui permet de passer en beaucoup de circonstances. Rappelons juste qu’il s’agit de leur entrée de gamme.

    En bref j’aime aussi, surtout quand on veux découvrir au mieux la patte d’un cuisinier, ces accords qui n’essaient pas forcément de jouer l’épate ou de tenter un amour parfait et la symbiose explosive.

    Un bon compagnon en somme, en tout cas à mon goût, et vous, qu’en pensez-vous ?

  7. Bonjour,

    Interessé par ce restaurant, pourriez-vous svp m’indiquer si vous aviez pris vos vins à la bouteille ou via un menu « vins »
    Si tel était le cas, pouvez-vous m’indiquer le tarif des vins ?

    Merci d’avance

    Cordialement

    Sylvain Boutin

  8. C’était en effet le menu accord mets/vins… Je ne me souviens plus du tarif ce menu vins (mais les tarfis sont assez bas en Espagne, cela devait tourner autour d’une soixantaine d’euros…), une belle expérience grâce à une cave superbe et une recherche d’accord innovante, à conseiller !

    • Bonjour et merci pour ces informations. C’est mon premier grand restaurant et j’ai plein de questions…

      Est ce que les vins dans ce menu sont servies à la bouteille (une pour 4 dans votre cas) ou au verre ?
      Le champagne n’était pas compris, si ?

      Car en effet, une 60taine d’€uros c’est vraiment très interessant

      J’ai hâte de découvrir cette très belle table

  9. Il me semble que les vins sont servis au verre (on re-servait évidemment si verre vide avant fin du plat)

    Menu vin hors apéritif en effet …

    Bonne visite et bon repas !


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